Le système scolaire finlandais est-il vraiment meilleur que le belge ?
Compte-rendu d’une mission d’observation en Finlande
Photos et texte : Florian Coheur
Combien de fois n’a-t-on pas entendu que la Finlande a un des meilleurs modèles éducatifs d’Europe ? Bien connu pour son taux élevé de réussite des élèves et pour son système égalitaire, le modèle finlandais est-il pour autant le modèle idéal ? Si je me fie au nombre élevé de demandes de nos élèves de l’Institut de la Providence qui veulent réaliser un séjour Erasmus+ en Finlande, mes collègues finlandais pourraient presque ouvrir une classe entière rien qu’avec nos petits Belges ! Dans notre imaginaire collectif, ce pays nordique nous fait rêver par ses paysages de contes de fées, sa nature sauvage, sa culture du sauna, l’excellent niveau d’anglais de ses habitants et le bien-être de ses citoyens. Alors, je suis parti observer mes collègues finlandais dans notre école partenaire du lycée Gradia dans la ville de Jyväskylä pendant quelques jours pour tenter de répondre à la question : la Finlande a-t-elle vraiment un système scolaire parfait ?
L’entrée du lycée général Gradia |
Ce lycée est un partenaire du réseau d’écoles en Europe auquel appartient notre école : le réseau Europroject, qui réunit 17 établissements scolaires de 15 pays différents en Europe et qui collabore régulièrement sur des projets de mobilités individuelles et des mobilités de groupe soutenues financièrement par le programme Erasmus+. Le lycée accueille des élèves de l’Institut de la Providence depuis 2022 et leur propose de suivre des cours majoritairement en finnois, et quelques-uns en anglais. Les élèves peuvent également suivre des cours d’espagnol, d’italien ou d’allemand, des cours de sport (ce qui est une des spécialités de ce lycée également), des cours d’art, d’histoire et de culture finnoise. Enfin, au terme de leur séjour, ils sont également évalués dans les matières qu’ils ont suivies, raison pour laquelle une mobilité de longue durée (8 semaines) est préférable car elle garantit une meilleure intégration et immersion dans la culture scolaire finnoise.
Ma collègue finnoise, Satu Syyrakki, coordinatrice Erasmus+, et moi-même |
1 - Du calme et du respect
J’entre dans le lycée, je n’entends pas d’élèves crier, pas de bousculades dans les couloirs, personne ne court ou n’a besoin de se cacher dans les toilettes pour être sur son téléphone. Aucune dégradation des bancs en classe, pas de graffiti sur les portes. Au lieu de cela, ils ont de beaux fauteuils confortables dans lesquels ils travaillent ou se prélassent à deux, trois ou quatre, smartphones à la main ; ils ont des sortes de « cabines téléphoniques » dans lesquelles ils peuvent s’isoler pour passer un appel sans déranger leurs pairs ou faire une sieste en pleine journée ; ils jouent au billard, ils s'entraînent sur des vélos électriques, ils boivent un café entre amis,… Bref, les activités ne manquent pas et tout se fait dans un calme et un respect des autres que l’on n’observe que trop rarement dans nos cultures occidentales. Le Finlandais respecte scrupuleusement la zone de confort de son voisin, et pour reprendre les mots d’un élève cité par ma collègue pendant la période Covid :
« 1 mètre de distance ? Mais Madame, on n'a jamais été aussi proche avant ! ».
Les couloirs du lycée, fauteuil, cabine téléphonique, billard… le choix pour se détendre
2 - To be ou bien puni
Je suis en classe, les élèves ont un bonnet sur la tête, un jogging, des piercings ou tatouages bien affichés. Ils mâchent parfois un chewing-gum bien grossièrement. Dans nos écoles belges, la moitié de cette classe aurait été en retenue le mercredi après-midi. « Vous retenez des élèves à l’école pour les punir ? Dans quel but ? » m’a demandé un collègue. En vrai, je ne sais pas, l’idée même de punir un élève est contre-productif, ce n’est donc pas un sujet qui ne semble pas les préoccuper. Et je n’ai même pas expliqué qu’en Belgique, certaines écoles refusent encore le droit d’entrer si la tenue n’est pas appropriée. Pour un Finlandais, sa tenue c’est sa façon de s’exprimer : ils sont tellement timides et réservés que leur tenue vestimentaire reflète leur personnalité, c’est un premier pas vers autrui.
3 - Des écrans, des écrans partout
Tous les élèves possèdent un ordinateur. L’ordinateur n’est pas une tablette, ni un chromebook ou un dérivé du dernier Apple, mais un vrai portable qui peut globalement tout faire, et ils font littéralement tout dessus. Je me suis limité à leur usage aux cours de langues, mais il aurait été intéressant de voir jusqu’où ils sont capables de pousser la machine en cours de sciences, de mathématiques ou de création artistique (car oui, ils ont encore des cours d’art, et je pourrai écrire tout un article sur ce manque dans notre culture scolaire belge !). Les professeurs aussi utilisent l’écran : la plupart des classes sont équipées de deux écrans, un tactile et un projecteur. Il est loin le temps où on doutait de leur fonctionnalité : jeux en ligne, cours numériques, exercices à la demande, tests programmés, vidéos à gogo,… tout est bon pour utiliser les écrans et les professeurs le font avec une fluidité et une intuitivité presque innée. Le papier est bien révolu, même si certains professeurs admettent encore préférer les méthodes non numériques. Quand je demande si cette utilisation des écrans n’est pas trop abusive, un collègue m’explique que c’est en réalité la meilleure solution face aux différences socio-économiques : tout le monde est sur le même pied d’égalité pour apprendre, l’ordinateur est fourni par l’État, est facile d’utilisation, garantit à chacun un bon matériel, aucun parent n’a besoin de dépenser quoi que ce soit pendant l’année, et ça forme les étudiants aux outils numériques pour leur avenir. Personne ne le remet en question. Puisque le jeune Finlandais n’a pas l’habitude de s’exprimer lors des leçons, l’apprentissage à travers les écrans est une aubaine pour eux. Trop utilisé ? Oui, clairement, mais c’est mon point de vue. La surabondance de l’utilisation numérique ne m’a pas non plus fait penser que ces adolescents sont moins respectueux ou moins travailleurs que les générations précédentes.
Cours “Model United Nations”: les élèves doivent collaborer sans les écrans |
4 - Responsables et autonomes
Premier fait marquant : il n’y a jamais de sonnerie entre les cours, et ça fait vraiment du bien ! Le prof est autant responsable et autonome pour aller en cours que les élèves, et de cette façon, personne n’arrive jamais vraiment en retard.
Ensuite, ce n’est pas tabou, professeur comme élève, le smartphone ne reste pas dans la poche. Les élèves ont leur téléphone dans les couloirs et en cours. Ils l’utilisent quand ils veulent. Si un élève veut passer un coup de fil, il sort du cours, tout simplement. Il répond aussi à ses messages, regarde des réels ou se challenge sur un jeu en ligne avec ses potes, discutent entre eux des nouveautés de leur fil d’actualité,… tout cela sous les yeux du professeur qui donne son cours sans se soucier de la discipline, un peu comme à l’université. Mais attention, si un exercice est donné, le smartphone est immédiatement coupé et l’élève s’exécute sans rechigner. Si une question est posée, les mains se lèvent, le bruit s’arrête. Et si un élève inattentif est interrogé, il est rare que celui-ci donne une réponse à côté de la plaque. Alors comment font-ils ? « C’est leur responsabilité, si l’élève pense être capable de gérer deux choses à la fois, c’est son problème, pas celui du professeur », m’a répondu un collègue.
Enfin, et les évaluations dans tout ça ? Ils ont une semaine de « tests » de fin de matière toutes les 7 semaines. S’ils ratent une matière, ils n’obtiennent pas les points/grades liés à cette matière et moins ils ont de points/grades, moins ils ont de chance d’entrer dans le domaine d’études qu’ils souhaitent suivre à l’université. Cela les responsabilise vraiment, et celui qui veut réussir au plus vite avec le plus de points ou les meilleurs grades donnera toute son attention en cours. Les matières ratées peuvent être représentées plus tard et autant de fois qu’ils le veulent jusqu’à ce qu’ils réussissent, comme des séances de « repêchages » à l’infini. La seule conséquence est de ne pas avancer aussi vite que ses amis, mais pour le Finlandais, cela n’a pas plus d’importance que son bien-être. Pas de pression donc, juste de la responsabilisation et de l’autonomie. « Si nos élèves échouent, ils sont les premiers à reconnaître que c’est de leur faute, ils savent qu’on a fait notre part du boulot, ils sont responsables de leur résultat. On ne se focalise pas sur leur réussite, mais plutôt sur leur bien-être, et leur bien-être mène à un résultat. » Une autre collègue m’a précisé que le taux de suicides des étudiants en Finlande était parmi les plus élevés au monde. L’école n’est-elle donc pas avant tout un endroit où l’on apprend à vivre en autonomie et à développer son bien-être ?
Cours d’espagnol: deux écrans pour le professeur, un tactile et un projecteur; deux écrans pour les élèves, un ordinateur et leur téléphone |
Fini de parler des élèves, j’aborde le côté des professeurs. La plus grosse différence, c’est l’horaire. Puisque ce sont des blocs de 7 semaines, l’horaire change également toutes les 7 semaines. Et comme un professeur est payé selon le nombre d’heures qu’il travaille à l’année et non à la semaine, l’horaire peut radicalement être différent d’un bloc à l’autre en fonction du nombre d’élèves qui choisissent votre option. Pendant un bloc, un professeur peut enseigner seulement 10 heures, pendant un autre bloc il peut en enseigner 30. L’enseignant est donc en quelque sorte soumis à l’intérêt des élèves pour sa matière, et comme me l’a dit ma collègue d’espagnol, qui est une matière optionnelle : « Si je construis des leçons qui ne les intéressent pas, ou que je ne fais que de la grammaire, je risque de ne pas avoir d’élèves inscrits à mon cours au prochain bloc. » C’est aussi sur base de cet intérêt que la direction jugera nécessaire d’engager un prof supplémentaire ou non pour donner une matière, ainsi on retrouve le même jeu d’instabilité professionnelle qu’en Belgique.
La salle des profs et son “bullshit corner”
Pour le reste, c’est pareil que chez nous : trop de réunions, trop de tâches administratives, trop d’activités… Les horaires varient de 8h15 à 16h, divisés en bloc de 75 minutes ou de 45 minutes pour les temps de midi, et des pauses de 15 minutes à 10h et 14h30. Un horaire très similaire à ce que nous proposons aussi à l’Institut de la Providence de Champion. Cependant, un professeur de mathématiques dispensera moins qu’un professeur d’histoire. « C’est une injustice de notre système, car le professeur d’histoire a autant de travaux à corriger qu’un professeur de maths », m’a dit un collègue. Des injustices à améliorer dans notre système éducatif, on en connaît aussi.
Enfin, malgré une vraie surcharge de travail soulignée par de nombreux collègues, ils avouent tout de même prendre un véritable plaisir à enseigner et ne voudraient pas changer de métier. Ils accueillent très positivement les élèves étrangers à leur cours (des Allemands, des Espagnols, des Américains, nos petits Belges,…). Même si ça bouscule leur organisation, ils estiment que c’est une vraie richesse pour eux et surtout pour leurs élèves qui n’osent jamais sortir de leur zone de confort.
« Il faut au minimum un mois pour qu’un Finlandais commence à vous parler », m’a dit ma collègue en rigolant.
Ce qui m’a encore plus marqué, c’est l’esprit de collaboration : ils s’échangent les cours volontiers, utilisent des modules créés par des collègues pour ne jamais avoir à tout reconstruire de zéro, ils accueillent des collègues en cours sans avoir peur d’être jugés ou critiqués (les portes sont d’ailleurs presque tout le temps ouvertes), ils prennent le temps de discuter entre eux entre les cours dans une grande salle des professeurs (qui contient même un « bullshit corner »), et il y a même un sauna à disposition dans l’école ! Enfin, en fin de semaine, j’ai été invité à une sortie entre professeurs : ski de fond et saucisse cuite au feu de bois dans un chalet. Ce bonheur de pouvoir fouler la neige après les cours à seulement 5 minutes de l’école, ça fait véritablement plaisir !
En somme, le métier m’a paru plus fluide et agréable qu’en Belgique, mais pas sans défaut : changer d’horaire et de groupe d’élèves toutes les 8 semaines ajoutent beaucoup plus d’instabilité et demande une flexibilité plus forte de la part du professeur qui est véritablement tributaire des intérêts et de la demande des élèves. En contrepartie, les élèves en sont bien conscients et ils portent un plus grand respect envers leur professeur ; les problèmes de discipline sont réellement anecdotiques, le bien-être et l’autonomie étant toujours au centre de toutes les interactions.
Ski de fond et saucisse au feu de bois pour terminer la semaine
Conclusion: le système finlandais est-il le Saint Graal des systèmes éducatifs ?
Pour être honnête, je ne pense pas avoir observé un système radicalement opposé au nôtre dans les méthodes d’enseignement. Je retiendrais deux choses : la première, c’est l’importance du bien-être et de l’autonomie de chacun. Les élèves sont beaucoup plus libres et autonomes et le sentiment de plaisir et de confort de tous les acteurs de l’école est vraiment au cœur de l’enseignement finlandais, et cela apporte un regard différent sur le rôle que l’école a à jouer dans nos vies. Un professeur heureux, des élèves heureux ? Ou bien l’inverse : des élèves heureux, un professeur heureux ?
La seconde, c’est que l’élève est entièrement responsable de son apprentissage et de sa réussite. Alors que nous continuons dans notre société belge à parler d’excellence et de faire peser la réussite scolaire sur les épaules du professeur, le modèle finlandais propose plutôt à ses acteurs « Un pacte d’équité » ou un « Pacte de bien-être » dans lequel le rôle de l’école est de faire en sorte que le professeur apporte tous les outils nécessaires à tous les élèves pour réussir dans la vie, à leur rythme et avec leurs moyens. Faut-il dès lors poursuivre l’idée que l’école doit former à réussir dans un système élitiste où persiste encore la croyance que tout le monde doit exceller individuellement dans le plus de domaines possibles afin de gagner au mieux sa vie ? Ou bien poursuivre l’idée que l’école doit refléter notre société, s’adapter plus rapidement aux changements, embrasser ce mode d’apprentissage derrière les écrans et miser sur le développement du bien-être de l’individu afin qu’il s’épanouisse surtout socialement et professionnellement ? La réponse se situe sûrement quelque part au milieu. Après tout, le système scolaire finlandais ne produit pas que des individus heureux et intelligents, tout comme notre système belge ne fait pas que des individus riches et fainéants.
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